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Ligne de vie et Société maillée

La « société maillée » est une forme utopique d’organisation sans hiérarchie. Comme nous allons le voir, l’évolution vers cette forme démocratique pure est rationnelle dans un monde de plus en plus complexe, et la Ligne de vie peut, grâce au processus d'individuation qu'elle favorise, en être un vecteur.

Complexité et évolution sociétale

Le modèle Cynefin qualifie bien le complexe comme le domaine où les experts divergent, contrairement aux cas « réductionnistes » (où un système peut être considéré comme la simple somme de ses constituants) : le « simple » où ils sont inutiles et le « compliqué » où ils convergent.

Le pilotage par hiérarchie pyramidale est né vient d’organisations compliquées, au sein desquelles celui qui prend les décisions gagne à s’éloigner du terrain pour se placer au lieu de convergence des expertises.

Comme le montre la figure ci-dessous, plus le niveau de complexité augmente, donc plus les experts divergent, et moins cette position, qui devient à la fois la plus détachée des réalités et là où viennent diverger les expertises, est tenable, et même justifiable. La solution la plus raisonnable est alors de créer un réseau maillé de citoyens en interaction riche – ce que permet désormais Internet (qui est, lui-même, grâce à la richesse d’interactions mondialisées qu’il permet, le vecteur principal de la complexité qui invalide sous nos yeux les démocraties les plus indirectes).

Effet de l'accroissement de la complexité sur les modes d'organisation humains (Yaneer Bar-Yam).

Individuation

La société maillée porte une promesse précieuse : l’individuation. Les sociétés et entreprises industrielles fonctionnent parce que les individus s’adaptent aux « cases » de l’organisation ; à l’inverse, une société maillée, qui génère une variété considérable de besoins, peut permettre à ses membres de développer leurs meilleurs talents au service du réseau.

C’est ce que théorise Cynthia Fleury dans Les irremplaçables et que démontre Frédéric Laloux dans Reinventing Organizations. C'est aussi ce qu'évoque Albert Jacquard lorsqu'il affirme « tu vas te construire grâce aux autres » : « pour devenir moi, j’ai besoin du regard de l’autre, j’ai besoin de tisser des liens avec lui. »

Si chacun a la possibilité de développer ses meilleurs talents aux services des projets des membres du réseau, apparaît l'utopie de la société maillée car cette forme d'individuation ouvre la voie à une nouvelle forme de citoyenneté.

Si la société maillée est la matrice qui enfante les Irremplaçables, on peut légitimement supposer qu’elle ne peut fonctionner que si elle est déjà constituée d’être individués qui maîtrisent les outils sociaux de l’intelligence des foules.
C’est le paradoxe de la poule et de l’œuf, parfaitement apparent une actualité où ceux qui réclament des outils de démocratie directe se voient systématiquement soupçonnés d’être capables d’en faire un usage vulgaire. Le paradoxe ne se résout élégamment qu’en supposant que l’œuf est apparu le premier… mais que ce n’était pas un œuf de poule.

C’est précisément la folle ambition politique de la Ligne de vie : réaliser une forme sociale innovante en maillant des bulles individuelles suffisamment incarnées pour prétendre au statut de citoyens virtuels, puis mettre en place des outils de démocratie virtuelle, comme les jurys citoyens ou les systèmes de démocratie liquide (où chacun vote sur les sujets pour lesquels il estime avoir une opinion éclairée, et, dans le cas contraire, délègue au cas par cas son vote à une personne qu’il estime pertinente).

Cette forme utopique est donc un ressort qui ne peut être déclenché que si un nombre suffisant de bulles forment un maillage efficace.